A Kingdom of Isolation, and it looks like I'm the Queen.

Elle la revoit encore, cette fleur qu’elle tenait dans sa main. Petite marguerite. Pétale blanche, cœur jaune. Elle était belle. Parfaite. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu créer une chose pareille. Petite blonde, sept ans à peine. Ses yeux s’étincelaient par cette merveille. Mais elle, elle. Elle jette la marguerite par terre. Hurle, hurle. Non, Léa, non, ce n’est pas toi qui as créé cette fleur. Elle s’est créé toute seule, par la force de la nature. Tu n’y es pour rien. Arrête. ARRÊTE. Elle ne comprend pas. Ses yeux brillent, plein de larmes, maintenant. Elle avait voulu lui faire plaisir. Regarde maman ce que je sais faire. Mais elle n’avait pas voulu voir. Et le bonheur, déjà, s’envole, se détache d’elle. Léa, petit ange déchu. Léa aimerait déjà être loin. Retourner dans ce champ de fleurs, là où elle avait su faire apparaître une marguerite et plusieurs coquelicots, simplement par la force de sa pensée. Elle aurait voulu n’être jamais revenue. Devant sa mère, elle tremble et ne dit rien. Car, elle n’est qu’une enfant et ne sait pas comment s’opposer à cette femme qui la toise d’un air mauvais. Elle n’a rien fait de mal, pourtant. Juste quelque chose qui ressemble à de la magie. De la magie.


Comme chaque midi, à onze heures et cinquante-cinq minutes, Léa descend de son petit univers pour rejoindre la cuisine si froide où ses parents l’attendent pour manger. Comme chaque midi, elle sait qu’elle ne lèvera pas les yeux car son père jugera cela insolent, et elle sait qu’elle ne devra pas prononcer le mot « magie » au risque de voir sa mère s’évanouir. Car, dans l’esprit de Léa, des questions se mêlent. Elle a vite compris qu’elle n’était pas comme les autres enfants, car dans son entourage, personne ne savait allumer une bougie sans utiliser d’allumettes. Alors, elle se posait des questions, elle se demandait. Mais dès lors qu’elle osait évoquer l’hypothèse d’être une sorcière (elle avait lu dans des livres que les sorcières avaient existé autrefois, et s’étaient retrouvés brûlées vives), sa mère tournait de l’œil et son père lui hurlait d’arrêter de dire de telles absurdités. Alors, Léa ne disait plus rien.

Les choses sont différentes, ce midi-là. Quand elle descend les escaliers, sa mère lève les yeux vers elle et son père est rouge de colère. Elle n’a rien fait, pourtant. Ses jambes tremblent, son esprit bouillonne. Elle ne comprend pas : ces derniers temps, elle s’est montrée prudente, elle n’a plus posé de questions. « Tu es contente de toi ? » lui demande-son père, froidement. « Je… » murmure Léa. Elle est perdue. « A force d’en parler, voilà que ça s’est réalisé. Ah ! Tu dois être ravie. Qu’ai-je fait pour avoir une fille pareille ? » Sa mère ne dit rien, mais le regard empli de pitié qu’elle lance à Léa ne présage rien de bon. Dans un élan de colère, son père se lève et jette une lettre à Léa. Les mains tremblantes, la jeune fille déplie le papier et essaie de lire aussi vite que sa vue brouillée par les larmes lui permet. Beauxbâtons. « L’école de magie française est fière de vous annoncer que vous ferez partie de notre établissement, dans quatre ans. » Un sourire se dessine sur ses lèvres, malgré elle. Une école de magie. Alors, elle n’avait pas tout imaginé. Tout cela existait vraiment. Elle n’était pas folle, elle était simplement une sorcière. En voyant le sourire sur le visage de sa fille, sa colère augmente encore. Il explose : « Et en plus, tu es fière de toi. Tu me fais honte. HONTE. » Mais Léa, cette fois, se fiche complètement de ce qu’il dit. Parce qu’une nouvelle vie s’offre à elle. Loin d’eux. Quatre ans, quatre ans, ça ne peut pas être si long que ça. Il s’approche de son épouse et déclare entre ses dents : « C’est de ta faute, tout ça. » Elle secoue la tête. « Non, non, j’ai fait tout mon possible, tu le sais. J’ai tout abandonné. Pour toi. Mais, ça doit être dans ses gênes. Je n’y peux rien. » Il soupire, marmonne qu’il n’aurait jamais dû épouser une sorcière, la pire erreur de sa vie. Léa n’entend plus rien, elle n’écoute plus leurs cris. Elle s’enferme dans son monde. Car bientôt, tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Bientôt, Léa pourra revivre.

What seemed a good idea has turned into a battlefied.

Ferme les yeux et protège-toi. Elle ne veut pas voir, ne veut plus regarder. Elle aurait dû s’approcher, l’empêcher, l’arrêter. Mais elle ne peut pas. Elle n’arrive pas à bouger. Ses pieds restent cloués au sol. Petrónella attrape sa main, la serre dans la sienne, comme pour la rassurer. Mais Léa continue d’avoir peur. Elle tremble. Tremble de tout son être. Et sent l’innocence la quitter. Elle pourrait presque la voir si elle ouvrait les yeux, comme une aura qui se forme autour d’elle. Elle n’avait rien demandé. Elle n’avait jamais voulu se trouver là. Ces vacances auraient dû être tranquilles, parfaites. Comme elles l’étaient toujours. Quand Léa retrouvait sa meilleure amie, tout allait mieux. Son seul moment de bonheur dans l’année. Et puis, et puis. Il semblait que Petrónella menait une vie dangereuse. A l’opposé de la sienne.

Cachées derrière un buisson pour ne pas qu’on les aperçoive, elles ne sifflaient mot. Toutes deux semblaient sentir le poids du monde s’écroulant sur leurs épaules. Elles comprenaient certainement la gravité de ce qu’elles voyaient, mais se sentaient incapables d’arrêter ce massacre. Léa aurait voulu s’approcher de lui, s’interposer, l’empêcher. Mais une enfant de quinze ans aurait bien du mal à interdire ce garçon d’aller plus loin. De toute façon, en entendant les gémissements de l’homme à terre, en voyant tant bien que mal le sang qui s’écoulait, Léa comprenait bien qu’il était déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. La vie de cet homme s’échappait, s’enfuyait. Et Léa n’avait rien fait.

L’amour, elle n’avait jamais connu ça. Alors, il était fort difficile pour elle de comprendre qu’un tel acte puisse se faire simplement par amour. Ôter la vie d’un homme parce qu’il avait osé poser les yeux sur votre bien aimée n’était pas une excuse. Mais après tout, peut-être qu’elle n’y connaissait rien. Parce que même si son amie semblait horrifiée, elle ne condamnait pas le geste de son cousin. Comme si l’homme à terre avait mérité cette mort soudaine et pleine de souffrance. Les larmes coulent sur les joues de Léa, parce qu’elle n’aurait jamais souhaité voir une chose pareille. Elle n’avait pas vraiment connu le bonheur. Ses seuls instants de quiétude se passaient l’été, quand elle retrouvait son amie de toujours, sa seule amie. Et voilà que tout était fichu. Pétronella se tourne vers elle. « Léa, Léa, regarde-moi. » Elle refuse de croiser ce regard, ce regard tant aimé, le seul qui lui redonnait un peu de confiance. Mais comment la regarder à nouveau, quand elle se sentait complice d’un meurtre ? « Tu dois me promettre de ne rien dire. Jamais. A personne. Tu comprends ? » Léa, cette fois, regarde son amie, ouvre des grands yeux, se mord la lèvre. Mais pourquoi, pourquoi ? Léa ne peut pas garder ce secret. Elle n’est pas assez forte pour supporter une telle vérité. Pourtant, elle acquiesce en silence. Parce qu’elle ne sait pas dire non. Elle sait déjà que ce secret la tuera, la détruira encore plus. Qu’importe. Elle n’a pas le choix. Elle ne peut pas décevoir son amie. Car, sans elle, comment pourrait-elle continuer à vivre ?

I'm addicted to the madness, I'm a daughter of the sadness, I've been here too many times before. Been abandonned and I'm scared now, I can't handle another fall now, I'm fragile.

La peur était un sentiment bien trop constant chez Léa. Jamais, cette sensation ne l’abandonnait. Elle était constamment sur ses gardes, préférait rester dans l’ombre pour ne pas attirer trop d’attention sur elle. Quand elle sent le regard de certains garçons sur elle, elle rougit et fuit, fuit. Parce qu’elle ne sait pas comment réagir, elle ne saurait pas quoi faire. Elle est belle, pourtant. Même si elle en doute, même si personne ne lui a jamais vraiment dit (mis à part Petronella, mais cela ne compte pas). Ses grands yeux bleus clairs, presque glacials, attirent les regards. Sa bouche rose rend envieuse toutes celles qui l’entourent. Et puis, ses longs cheveux blonds, qu’elle n’a presque jamais besoin de coiffer. Elle est belle, belle, gracieuse. Elle devient une jolie jeune femme, une femme que beaucoup de garçons seraient prêts à courtiser. Mais, elle ne leur en laisse pas l’opportunité car, elle préfère rester cachée, loin de tous.

Beauxbâtons aurait du être un rêve. Là, elle aurait dû, elle aurait pu se sentir à sa place. Se faire des amis, découvrir le monde sorcier auquel elle appartenait depuis toujours. Mais (car il semble toujours y avoir un mais dans sa pauvre existence), Léa avait côtoyé la mort de près, de bien trop près, et cela semblait lui avoir détruit tout espoir de s’en sortir. Car les images de cette masse, affalée sur le sol, recevant coup sur coup, suppliant à son tortionnaire d’arrêter, de le laisser mourir en paix, lui revenaient sans cesse. Jour et nuit. Dès qu’elle fermait les yeux. Alors, elle s’était encore plus enfermée. Elle oubliait, du moins essayait d’oublier, le regard des gens. Elle n’entendait plus leurs murmures. « Tu ne la trouves pas bizarre, la Covilliers ? » « Si, si. On dirait un chiot perdu. » « Elle ne parle, ne rit jamais. Elle vient d’une autre planète, c’est certain. » Les rires. Les méchancetés. Léa oubliait, se concentrait sur ses études. Et peut-être, peut-être que si elle avait eu des parents plus aimants, des parents qui lui auraient appris à se défendre, Léa serait bien plus forte aujourd’hui. Mais inutile de rêver. Léa ne savait pas se défendre. Et même le jour où elle se décide enfin à agir, où dans un couloir, en entendant ce qu’on raconte sur elle, elle se tourne, le rouge aux joues, et crie : « Mais qu’est-ce que vous avez tous ? Laissez-moi. Je ne vous ai rien demandé. RIEN. Alors, arrêtez. Laissez-moi en paix, et occupez-vous de vos affaires. » Et quand sa voix cristalline transperce le silence du couloir, que tous se jettent des coups d’œil surpris, comme si cette interruption était l’événement de l’année, les sourires, malgré tout, se dessinent sur leurs lèvres. Car Léa ne fait pas illusion. Léa n’effraie personne. Léa n’est qu’un enfant perdu, qu’une petite fille qui peine à s’affirmer et qui ne trouvera jamais sa place dans leur monde. Car, finalement, sorciers ou moldus, tous sont semblables. Emplis d’intolérance, prêts à se moquer de la différence. Léa ne trouve sa place nulle part. Léa ne sait pas comment se faire accepter. Heureusement que Petronella, cette année, la rejoindra. Il était grand temps. Léa ne supporte plus d’être seule.