J'étais là, immobile, impassible, le regard vissé sur mon oncle. Sur le roi. Sur celui qui n'allait pas tarder à faire raisonner le son de sa voix dans toute la place d'Orange. Celui qui n'allait pas tarder à réciter un discours dont les lignes n'inspireraient que chagrin et regrets, mais qui pourtant se voudrait rassurantes. Vêtue d'une robe sûrement bien trop élégante, j'étais installée au premier rang et à mes côtés figuraient ma sœur et mon frère. A leurs côtés, les autres individus au sang bleu. Toute la royauté de France était là, silencieuse, l'âme chagrinée d'avoir perdue l'une des leurs. L'âme toujours aussi mutilée, même une année après. Même la mienne. Oui, je ne pouvais prétendre que cela ne me faisait rien. Je ne pouvais prétendre que Solange ne manquait pas à ma vie. A mon cœur. Que nous n'aurions plus de souvenirs communs. Qu'il faudrait se contenter des anciens, des temps passés, de notre jeunesse ambitieuse qui n'aurait jamais de continuité. Triste est le sort. Cruel est le destin. Pourtant une part de moi ne prend pas part à la peine en ce jour. Une part de moi résiste, sûrement la plus réaliste. Celle qui à l'annonce du décès de ma cousine fut joyeuse, rassurée. Celle dont la seule ambition était la couronne. Se rapprocher de la couronne. Et avec la disparition de Solange, je m'en rapprochais, un peu plus. De quatrième héritière je passais à troisième et cette même part m'avait soufflé à l'oreille que seuls deux obstacles à présents se dressaient sur ma route. Deux. Plus que deux. Encore deux. Mon destin se dessinait plus concrètement alors que celui d'une autre s'éteignait. Était-ce cela la vie ? Devoir enlever quelque chose à autrui pour nourrir sa propre existence ? Sûrement. Du moins c'est ce que la vie elle-même m'enseignait, me montrait. Et j'avais tendance à croire seulement ce que je voyais, soucieuse de ne pas souiller mon esprit de faux-semblants. Peut-être était-ce une mauvaise chose. Peut-être étais-je une mauvaise personne, mais c'était ainsi. Alors oui, mon âme était déchirée d'avoir perdue l'un de ses piliers, celui nommé Solange Desclève, mais mes larmes ne coulaient pas, enfuies, entassées depuis bien longtemps sous cette ambition qui les empêchaient de se montrer.

Mon oncle venait de prononcer son premier mot et au même moment, les yeux d'Hortense rougirent. Au même moment, le visage de Marien se fermait. Marien, celui qui devenait premier héritier de la couronne. Celui qui monterait sur le trône quand la mort viendra prendre mon oncle. Je détournais mon regard sur lui et sentait une peine sincère. Était-il bon comédien, ou avait-il véritablement un bon fond ? Je penchais pour la seconde solution. Pourtant avec la mort de Solange son destin c'était sceller bien plus distinctement que le mien. Cela ne lui faisait-il rien ? Je ne comprenais pas. Non, je ne comprenais pas comment sa peine pouvait prendre le pas sur son ambition. Je ne comprenais pas pourquoi il était si insensible à cette couronne qui bientôt se poserait sur le haut de son crâne. Et voilà que mes songes étaient de nouveaux souillés par la rancœur, voilà que je me surprenais à penser qu'il n'avait pas sa place en tête de liste, voilà que toute ma haine imbibait mon âme, évinçait la peine. Il tournait la tête vers moi et j'étais certaine qu'il le voyait. Qu'il comprenait, ou plutôt qu'il ne comprenait pas pourquoi j'étais si mauvaise. Nous étions frères et sœurs, le même sang coulait dans nos veines et pourtant nous étions si différents. J'étais si différente, car même lui et Hortense ne semblaient faire qu'un. Et cela avait toujours été ainsi. Depuis notre plus tendre enfance jusqu'à aujourd'hui. Je ne les comprenais pas, ils ne me comprenaient pas. Et toujours je les verrais comme plus faibles que moi. Comme incapable de mener leurs ambitions à bien. Ils avaient toujours été deux. J'avais toujours été seule.

Le discours s'allongeait et comme je l'avais prévu, se voulais rassurant. Peuple français, la maison royale est à vos côtés, plus proche de vous que jamais. Était-ce seulement vrai ? Mes pupilles se vissaient à nouveau sur mon oncle et je ne pouvais m'empêcher de voir ce parchemin face à lui, pré-écrit, peut-être pas même par lui. Plus proche que jamais. La royauté n'avait-elle pas toujours été proche ? Si. Ou du moins c'est ce que nous faisions croire depuis des décennies. Oui, nous. Ou plutôt eux, car moi je ne le pensais pas. Non, nous n'étions proches du peuple que lorsque cela nous arrangeait, les laissant seuls face au monde bien souvent, fermant les yeux lorsque sûrement ils en avaient le plus besoin. Et je m'en fichais. Oui, la Princesse du Sang de France ne portait guère de considération à son peuple. De toute manière, seraient-ils un jour mon peuple ? Non. Bien-sûr que non, à part si la maladie voulait emporter avec elle mes deux prédécesseurs. Le discours touchait à sa fin et je baissais les yeux vers le sol en hommage à ma cousine disparue. Mes doigts s'entrelaçaient, comme un signe de prière alors que la voix de mon oncle ne résonnait plus. Silence. Le peuple était silencieux. Ou du moins c'est ce que je croyais puisqu'en réalité des murmures s'indignaient. Le peuple laissait entendre sa voix, semblait croire qu'ils pouvaient le faire. Alors je levais mon regard une nouvelle fois vers le Roi qui d'une seule main rendait muet chaque individu. Alors une nouvelle fois le silence, puis mon regard fut attiré par des lumières incandescentes, des filaments pourpres dans le ciel. Cela n'était pas prévu. Pourtant je me retournais et voyait que chaque personne s'était tue. On lui coupera la tête. Une nouvelle ère s'annoncera sur les cadavres des nantis et sur les cendres de ce qu'ils ont bâti. Le rouge des lettres était semblable à la couleur du sang et quelques gouttes de ce rouge écarlate dégoulinait le long de chaque lettre. Je sentais alors la main de mon frère se refermer sur la mienne alors que j'attrapais faiblement celle de ma sœur. Une lumière aveuglante brouilla mes sens et un bourdonnement résonnait à mes oreilles alors que par pulsion je me levais, serrait cette fois fort la main de ma sœur et l'emportait avec moi à pas vif. Je ne la lâchais pas, tenait ma robe bien trop longue de mon autre main. Mes pieds semblaient vouloir me mener vers l'estrade où se trouvait les miens et pourtant, je rebroussais chemin. Avant de m'arrêter brusquement, ne sachant où aller. Et quelqu'un se trouvait à nos pieds. Hortense me lâcha pour aider cette personne. Personne que je ne regardais même pas, à laquelle je ne portais aucune considération, pensant seulement à moi. Marien n'était plus là. Je sortais ma baguette et lançais des sortilèges sur ceux qui m'apparaissaient comme ennemis, pourtant mes éclairs de lumières ne semblaient pas les toucher. J'insistais. Des cris fusaient, mais moi je restais silencieuse. Pourtant mon esprit semblait vouloir me voir hurler. Marien. Je pensais à Marien alors que ma seule ambition aurait dû être de trouver une solution pour m'enfuir. J'espérais qu'il allait bien. Mais aussi qu'il soit touché. Et une femme se jetait sur moi alors que mon regard cherchait Dorian, puis le Roi. L'estrade semblait vide, mais peut-être était-ce seulement mes yeux qui ne voyaient pas. Et alors que la femme m'emportait avec elle je me voyais aussi noire que j'étais. Les gens s'écartaient pour me laisser passer et je ne les remerciais pas. Un éclair de lumière s'écrasait à quelques centimètres de moi, mais je ne m'arrêtais pas. Je courrais, mon bras serré par la main de l'aubin qui me protégeait. Je courrais, alors que les cris fusaient autour de moi, alors que les corps s'évanouissaient, étaient davantage mutilés à chaque seconde qui s'écoulait. Je courrais et finalement je m'arrêtais à l'intérieur d'un bâtiment. Seule. L'aubin n'était plus à mes côtés, je ne savais où elle était, mais je ne m'en souciais pas. Non, je cherchais les miens du regard et ne voyait personne. Du sang coulait le long de mon bras droit et pourtant je ne sentais rien.

Je faisais partie de la Royauté, j'étais l'une des principale cible et pourtant, l'une des premières sauvées. Sûrement nombreuses étaient les personnes encore dehors à lutter pour leur vie. A lutter, alors qu'ils n'y étaient pour rien. Alors qu'on ne leur voulait rien. Là encore le discours du Roi se révélait faux. La maison Royale est à vos côtés. Sottise. La maison Royale est à l'abri, cachée, laissant son peuple sur le champs de guerre. Laissant son peuple les sauver, protéger leur vie si précieuse. Ma vie si précieuse. Et sûrement le Roi ne se souci guère en ce moment de ceux à qui ses mots étaient dédiés. Sûrement ne pensait-il plus à Solange. Sûrement personne n'y pensais. Personne. Pas même moi pour dire vrai. Alors, les âmes qui semblaient éplorées l'étaient-elle réellement, ou n'était-ce que mensonge pour faire bonne figure ? Je ne saurais le dire, mais je me sentais moins seule, car au fond ils étaient tous comme moi. Ils pensaient à eux, à leur propre personne, à leur avenir et ne se souciaient pas une seule seconde de ceux qu'il faudrait vaincre pour parvenir au sommet. Pas une seule seconde, car les épreuves révélaient les véritables natures. Les moments de difficultés mettaient les âmes à nues et chacun changeait. Ou plutôt chacun se révélait tel qu'il était vraiment. Sauf moi. Parce que tout le monde savait qu'Églantine Leblois était aussi sombre à l'intérieur en tout temps, aussi sombre que ce qu'il se passait en ce moment et qu'elle ne se cachait pas. Qu'elle ne voulait pas se cacher. Et chacun devait se douter qu'une part d'elle espérait qu'après la fin de cet attentat, elle se rapproche davantage de ce pourquoi elle se sentait destinée : la couronne.