« Tu seras une grande sorcière, Elysée Louise Berthelot. » Un léger baiser sur le front avant d’éteindre la lumière. Je ferme les yeux, prête à me plonger dans le sommeil et à rejoindre le pays des rêves. Si jeune déjà, ma famille et moi étions persuadés que j’irais loin. J’avais un formidable destin qui se dessinait devant moi. Peut-être que si mes parents ne m’avaient pas poussé ainsi, j’aurais fait autre chose. Qu’importe, ils m’avaient tous deux donné les moyens de réussir et je ne regrettai pas une seule seconde leur comportement. Dans mon petit lit d’enfant, je me tourne encore et encore. Impossible de fermer l’œil. « Maman. » J’appelle. M’entendra-t-elle à l’autre bout de la maison ? Je ne doute pas une seule seconde de ma mère. Elle viendra. Je n’ai pas tort. Au bout de deux minutes, elle se précipite dans ma chambre. « Que se passe t-il, mon ange ? » Je me redresse, la regarde. La lumière du couloir inonde la noirceur de ma chambre. Dans l’encadrement de la porte, ma mère semble descendue des cieux. Ma mère est belle, bien plus belle que n’importe quel autre femme. A neuf ans, j’en ai déjà conscience. « Tu penses qu’un jour, j’aurai ma place auprès du roi ? » Elle sourit. Elle se demande, je le sais, comment une enfant de mon âge peut déjà se poser autant de questions existentielles. C’est, qu’à force d’observer mes parents mettre du leur pour plaire aux grands de ce monde, je rêve de faire la même chose. Je rêve même d’aller plus loin, pour les rendre fiers. Elle s’approche de moi, s’assoit sur le lit, pose la main sur mon visage, d’un geste rassurant. « Elysée, un jour, tu seras même la reine, promis. » Je rigole, comme un enfant qui croit à toutes les promesses d’un adulte, qui ne sait rien sur l’avenir qui est promis à son enfant. « Merci, maman. » Elle se relève, murmure « Bonne nuit, ma grande. » avant de fermer la porte.
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« Tu aurais pu faire mieux. » Je soupire. Faire mieux, toujours faire mieux. Pourtant, est-ce que je ne donne pas déjà mon maximum ? Ma mère m’en demande parfois trop, je suis incapable de suivre. Je travaille, cependant, de tout mon être. Tous les jours, je me donne, je travaille, parfois jusque tard dans la nuit. J’aime ce que je fais, l’école me plaît. Mais maman voudrait que je sois la première de ma promotion. Et il y a cette idiote de Jeanne qui me passe toujours devant. Maman me toise. Elle a la prestance d’une femme importante. Elle l’est, quelque part. Mais, je pense qu’elle n’affirme pas assez sa position au sein du royaume. Alors, qui est-elle pour me juger ? J’aimerais me rebeller, lui cracher ses quatre vérités en plein visage mais je n’ose pas. Elle reste ma mère et a, sur moi, toute l’autorité nécessaire. « Maman » tentai-je tout de même, « je fais de mon mieux, tu le sais.. » Elle ne prend même pas la peine de m’écouter, m’interrompt d’un geste agacé : « Tais-toi ! Comment veux-tu arriver au sommet de la gloire, de la royauté en ne donnant que la moitié de ce que tu peux donner. Réveille-toi. Tu ne veux pas finir comme toutes ces personnes qui ont un jour rêvé de devenir quelqu’un, et qui finalement ont passé toute la vie chez soi ? » Comme toi ? ai-je envie de demander. Mais je me tais, par habitude. Etrange comme je ne me serais pas comportée ainsi à l’école, face à un élève ou à un professeur. Ou ici, face à mon père. Mais ma mère, bien que parfois adorable, m’a toujours effrayé. Elle me regarde, maintenant, comme si je ne valais rien. A-t-elle oublié toutes ces nuits où, enfant, elle voyait pour moi un grand avenir ? Elle semblait déçue de sa fille, mais je ne savais plus quoi faire pour la satisfaire. J’avais rejoint le Cercle de la Rosière mais elle semblait omettre ce détail. Qu’importe, je lui prouverais que j’arriverais à me construire une belle vie, une magnifique carrière, que le monde entier m’enviera. « Allez, capitute-t-elle, il est temps d’aller se préparer pour ce soir. » Par habitude ou pour calmer la situation, elle m’embrasse sur le front. Je la déteste. Je hais ses gestes hypocrites, par lesquels elle essaie de me prouver qu’elle continue à m’aimer même si je la déçois de plus en plus. Je la haïrai encore plus ce soir, je le sais, quand face aux invités, elle tentera de me rabaisser. Et pourtant, cette femme est ma mère. Mon modèle, ma vie. Et je continuerai à l’aimer. Malgré moi.

« Elysée ! Elysée ! » Je lève les yeux au ciel. Qu’on me laisse tranquille, bon sang ! « Elysée ! » J’entends des pas derrière moi. Je me retourne, prête à insulter celle qui me suit mais je suis interrompue sur ma lancée. « Elysée, je te cherche partout depuis vingt minutes ! J’ai besoin de toi. » Je hausse les sourcils. Devant moi se tient Carine, une jeune fille de seconde année. Pas vraiment mon amie. Loin de là. Je n’ai même jamais eu la prétention de faire semblant de l’être (celle-ci ne me servirait à rien dans la conquête du pouvoir.) « Besoin de moi pour quoi, Mlle Debuys ? » Je prends mon nouveau rôle de Comice très au sérieux et j’apprécie le fait de pouvoir prendre encore un peu plus de distance avec les autres élèves. Elle recule un peu, instinctivement, face à mon air hautain. J’essaie d’éviter un sourire, mais j’aime qu’on me craigne. « Pour … Pour rédiger un devoir d’histoire de la magie. On m’a dit que tu étais la meilleure. » Flattée dans mon égo, je réfléchis quelques secondes à sa proposition. Prendrais-je vraiment le temps de l’aider au détriment de ma ballade quotidienne dans les jardins du château ? J’hésite. Mais l’idée de partager mon savoir ne me plaît pas trop. J’aime être celle qui sait tout mais je détesterais être celle qui apprend aux autres comment tout savoir, à leur tour. Cette position est la mienne, et on ne pourra me la prendre. Je décide de prendre un air blasée. Je secoue la tête. « Désolée, je ne peux pas t’aider maintenant. J’ai d’autres projets, plus intéressants. » Je n’attends pas sa réponse, ni sa réaction. La déception sur son visage me ravirait mais je préfère lui clouer le bec en détournant les talons. On peut dire de moi que je suis méchante. Qu’importe. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir le monopole de la situation.

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« Si on allait dans le parc ? » La proposition de Mélanie semble plaire à tout le monde. Un petit brin d’air frais ne peut guère nous faire de mal. Mes « amis » se lèvent de table et attendent mon consentement pour se diriger vers la sortie. J’acquiesce lentement, d’un mouvement presque imperceptible, avant de me lever à mon tour. Cela peut paraître étrange, mais attendre mon autorisation est plutôt anodin dans notre relation. Très tôt, j’ai établi une sorte de hiérarchie entre nous, et bien que je sois l’une de celles au rang moins élevé, je possède certainement le caractère le plus fort. Je me suis ainsi imposé en tant que « chef » de notre groupe. Tout ceci devrait me convenir. Il est vrai que je prends un malin plaisir à diriger tous ces gens, mais je me sens parfois mal à l’aise. Pas d’être supérieure à eux, non. Mais je ne me sens pas toujours à ma place. Comme s’ils n’étaient pas assez bien pour moi. Ou comme si j’avais envie d’autre chose, d’autres amis. Avec lesquels je pourrais me montrer plus sincère. « Allons-y » déclarai-je d’une voix forte, comme pour chasser ces idées mornes de mon esprit. Je balaie du regard la salle. La plupart des étudiants ont les yeux rivés sur mes amis. Je me tourne vers eux, et leur démarche chaloupée si travaillée me décroche un sourire. Toujours paraître, là est leur créneau. S’ils savaient qu’ils avaient l’air d’idiots ! Mais, afin de me mêler parfaitement à leur groupe et à leur monde, je les imite. Je joue mon personnage jusqu’au bout. Volontairement, je fais claquer mes talons sur le sol marbré de l’école. Je résonne, je le sais. Ma présence est toujours, toujours percevable, même à plusieurs mètres.

Arrivés dans le parc, nous nous asseyons tous autour d’un vieux chêne. Notre endroit de prédilection. Jules sort le journal quotidien de son sac. « Vous avez vu les gros titres ? Le futur roi a été désigné. » Nous poussons tous, en même temps, un cri d’exclamation. Enfin une nouvelle intéressante. « Dis-nous, dis-nous. » supplie Maggie. « Marien Leblois. » souffle le jeune homme. Certains applaudissent, d’autres ronchonnent. « N’importe quoi ! » s’écrie Mélanie. Laurie et Lucas approuvent. Je jette un regard impérieux vers eux. « Vous n’avez aucun droit de contester le choix de notre roi. » Mélanie baisse les yeux. Elle sait combien je ne supporte pas une quelconque impolitesse envers notre monarchie. Fervente avocate de notre royaume, je tâche toujours de reprendre quiconque jugeant un peu trop les décisions de Sa Majesté. D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi ils n’étaient pas tous comme moi. Après tout, ils venaient tous de famille de Duché, et se devaient d’apprécier la Monarchie. Mais qu’importe, je n’avais pas besoin d’eux pour affirmer mon opinion. « Oh, ça va, Elysée. On peut dire ce qu’on pense, non ? Ce futur Roi n’est pas le bon choix, c’est tout. Regarde la vérité en face ! Allez, je suis sûre que tu penses la même chose. » Intriguée, je me tourne vers Lucas. Comment ? A-t-il réellement osé me défier, ainsi ? Je bats des cils, outrageusement. « Peu importe ce que je pense, Lucas. Le Roi a pris sa décision et tu n’es personne, tu m’entends, personne, pour oser le contredire. » Sur ces derniers mots, je me lève rapidement et sans un dernier regard vers mes soi-disant amis, je retourne vers l‘intérieur du château.